mercredi 28 novembre 2012

Petite réponse à Emilie P., Doctorante en mal d'avenir...

J'ai été ému à la lecture d'un article d'Agoravox d'une certaine Emilie P. et je me suis fendu d'une petite réponse que je publie ci-dessous. Son article est à lire ici.

Emu et agacé à la fois, car j'y ai vu à quel point le discours dominant, le syndrome TINA (There Is No Alternative), traverse toutes les consciences, y compris les plus fines.

Chère Emilie,
Comme on a de compassion et d'intérêt à vous lire. Il faut louer cette initiative de crever le mur du silence en décrivant honnêtement votre quotidien de chercheuse. Cela est suffisamment rare pour être souligné et vous le faites avec brio. 
Vous faites un constat élaboré mais restez évasive sur des préconisations qui semblent implicites, à vous lire. 

Ainsi vous dites : "L’adoption, il y a cinq ans, de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités ne règle pas les problèmes de sous-financement et ne permet pas une (ré)organisation efficace de son infrastructure. Les Universités françaises sont politiquement autonomes et terriblement seules. Même si les fonds privés sont* une solution à plusieurs égards, qui investirait dans la recherche littéraire ? (…) L’idéal serait de trouver un juste équilibre entre un financement public et privé."

Or, je vous invite à reconsidérer l'inéluctabilité que vous trouvez "idéale" d'un financement pour partie privé. En quoi serait-ce une "solution, à plusieurs égards" et quels sont-ils ? Si c'est pour vous un horizon indépassable, je vous conseille de vous rapprocher du Parti Socialiste qui se fera un plaisir de vous accueillir et de vous trouver un poste, armée comme vous l'êtes et dotée de cette belle sensibilité adossée à un vécu. Le bon constat mais les mauvaises réponses, apprises un peu par cœur...

Pour ma part, les fonds privés j'en vois assez les inconvénients. Ils sous-tendent même tout ce que vous décrivez par ailleurs dans la dévalorisation du travail, la pression à la baisse sur son prix (et non son coût), le découragement et le gâchis humain que vous-même représentez, alors-même que vous n'avez pour ainsi dire pas commencé. "Solution" est ici un postulat. Il serait plus scientifique -et c'est lié directement à votre condition- d'envisager la possibilité d'autres solutions. 

Je voudrais mieux me faire comprendre.


Prenons un exemple véridique de présence de fonds privés, et de l'influence de son actionnariat, dans le monde de l'édition. Des universitaires avaient réuni leurs travaux récents à propos la Shoah pour un très grand éditeur français spécialisé en Histoire. Un autre travail non moins important, mais qui aurait demandé cinq années de travaux, avec des contraintes de langue et des avances de frais qui auraient été nécessaires pour publier une originale Histoire des Tziganes. L'éditeur avait alors à faire face à deux types de pressions, concurrentielle et actionariale, et s'est vu devoir trancher entre les deux sorties. Que croyez-vous qu'il fût choisi ? Le sujet "le plus porteur sur le marché", la Shoah. Voilà un exemple parmi d'autres des exigences du privé, et de ses possibles répercussions négatives sur la recherche et la connaissance.


Vous touchez, peut-être sans le savoir encore un autre type de désordre, lorsque vous évoquez les nouveaux docteurs ès qui seront dans l’obligation de se tourner vers d’autres emplois en passant des concours. 


Vous ne savez pas à quel point ils désorganisent -à leur corps défendant- toute une filière de recrutement : à la Mairie de Paris on voit des DESS postuler aux concours pour des postes de Cat. B (niveau bac). Ce faisant, il sont mal employés, mal entourés au quotidien, malheureux ils s'engourdissent et pour les plus chanceux quittent le poste au bout de dix mois. En attendant, les "niveaux Bac", eux, sont au chômage de longue durée ou au RSA, car les premiers arrivés aux concours sont bien évidemment les sur-diplômés. Aucun espoir pour les plus modestes (intellectuellement) alors qu'ils auraient trouvé là une place à leur mesure…
 
Voilà pour la pression du chômage sur la société. Travail, recherche, création, c'est tout le corps social qui collapse sous ces diverses pressions, continues, lentes, interminables.

Vous comprendrez Mademoiselle, pourquoi j'en appelle de ce point de vue, pour ne citer que celui-là sans aborder les questions de choix économiques et de démocratie, à une révolution citoyenne.

P.S : le journalisme n'est pas bouché pour tout le monde, idem pour le cinéma, le théâtre, la littérature, la haute-finance et assurance, la médecine, bref, partout où il y a des niches argentifères, il y a une néo-aristocratie et ses jeunes pousses.



* présent corrigé par l'auteur elle-même, qui avait d'abord écrit "seraient" (!)

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