mercredi 22 août 2012

Fafet, l'affront

J'aimerais ajouter mon témoignage sur la réalité des quartiers-nord d'Amiens. Un témoignage policier, de toute évidence, est relayé ici par le blog Europe-Ecologie de Bagnolet. Le constat y est chirurgical et il a le mérite d'être factuel. Mais je voudrais y ajouter une ligne de diagnostic, sans tabou, sans concession, sans lâcheté.





Amiens-nord, plus encore Fafet-Brosollette, c'est la préfiguration de ce que serait la France, réduit à l'état de la Grèce, dans dix ans. Le retour aux luttes de territoire, la complication d'un désordre social comme il y a des complications médicales, la convergence malheureuse de l'exclusion, de la pauvreté, et de l'ignorance.

D'abord, à toute chose malheur est bon, puisqu'enfin on en parle. Y compris la Police parle. Ce qui me gène, c'est que tout le monde fait un peu semblant de découvrir. Or, cela fait trente ans que ce quartier dégénère. Il s'enlaidit, même au gré des embellissements et des volontés de réhabilitation, comme on dit. Mais le vernis extérieur se craquèle tous les jours.

Qui n' a pas vécu à Amiens-nord ne peut pas comprendre. Je me souviens, pour avoir passé toute mon enfance dans ce quartier d'Amiens, au Pigeonnier (rues Couperin et Watteau) qu'il y a toujours eu une terreur latente. On pouvait dans les années 70 flâner dans le quartier à vélo ; c'était un peu l'Italie, le soleil en moins. Mais je me souviens aussi qu'on n'était pas tranquille. Combien de nous, pauvres, fils de pauvres, se sont fait voler leurs affaires, leur mobylette, leur vélo, molester, casser la gueule pour rien... par qui ? Par d'autres fils de pauvres,
venus d'Algérie entre 63 et 73 pour travailler. 

Je tiens à préciser à ceux qui s'en réjouiraient, que je ne suis pas devenu lepéniste pour autant, même après m'être fait longtemps insulter  de "sale Français" -alors que je n'ai moi-même jamais insulté un petit camarade sur ses origines- mais j'appelle de mes vœux une gauche autoritaire (notamment avec les plus riches) autant que solidaire (notamment avec les plus pauvres).

Ici, me revient en mémoire le mot de l'un de mes copains, Abderazak, dont les parents étaient arrivés en France juste quelques années auparavant. Il me disait -"toi t'es sympa, mais tu sais, mes parents ils m'ont dit que nous, on est là pour niquer les Français". Eh oui, terrible. Terrible avenir qu'ils préparaient à leurs enfants, en leur inculquant les bases d'une perception revancharde et, de fait, paranoïde de leur environnement social ! On y est.

Ce n'est qu'un exemple isolé me direz-vous, et il faut se garder des généralités et des amalgames. C'est juste. Mais les lecteurs issus de cette immigration très pauvre et très marquée par les horreurs de la guerre d'Algérie, comprendront ce que je veux dire. Ils en ont souffert eux-mêmes, c'est évident. Et ils sauront que je les comprends. Les autres, jeteront un voile pudique devant leurs yeux et se pareront comme toujours d'un angélisme anti-raciste, bien pratique, mais complètement à côté de la plaque (
d'ailleurs, comme si le racisme était le sujet...).

A cette époque, tous nos pères travaillaient à l'usine, à Ferodo, à Good-Year, à Dunlop, à Procter, ou à l'hôpital nord ; tous. Et ça fait là une sacrée différence avec la situation actuelle. Et je vous prie de croire que lorsqu'ils nous appelaient à la fenêtre, ça ne mouffetait pas. Une génération de chômage après, dans des conditions de logement concentrationnaires, l'enfant de Fafet a quels repères, et les pères ont quelle autorité ? 





C'est ce que le Parti Communiste, longtemps au pouvoir à Amiens, n'a pas su voir lorsqu'il a imaginé en 1955, avec des architectes qui devraient être pendus, 21 barres d'immeubles dont l'organisation et même la structure d'acier sont apocalyptiques (on entend le voisin faire pipi ou se faire cuire un steack). Car on ne réunit pas 25 000 habitants sur quelques hectares sans penser aux conséquences. Surtout lorsque les maladies professionnelles y côtoient un jour la maladie du chômeur de très longue durée, la maladie tout court. Déjà il y a trente ans (j'ai 43 ans), le bon candidat dit "de Gauche" avait déserté ce quartier. Le remède apparaît désormais soit comme médical, soit via une politique sociale de grande ampleur, comme par exemple la réindustrialistaion et la définanciarisation de notre économie, mais là on rêve debout... puisque dès que l'occasion électorale se profile, on nous sort une "Affaire-Merah" (voir les 19% de Mélenchon donnés par la DCRI le 16 mars 2011, soit trois jours avant l'éclatement des meurtres de Toulouse).

Bref, il ne faut pas être un grand urbaniste éclairé pour voir que l'être humain n'est pas fait pour vivre dans le désœuvrement, au beau milieu d'une jungle reconstituée en béton armé, où les enjeux de domination sur l'autre prennent des formes exacerbées de violence morale, symbolique, et physique. Et que dire du bruit... A Fafet on n'est pas encore à Gaza, où les drones vrombissent en permanence, mais le sentiment doit en être proche, car à Fafet ce sont des hélicoptères. 

Je le sais, ma mère y habite encore, qui allait faire la lecture sur les bancs des parcs, à tous ces gosses qui ont grandi. Elle qui passait pour une douce-dingue, aux yeux d'habitants résignés déjà, elle faisait tout ça spontanément, d'elle-même, bénévolement. Elle mériterait une Légion d'honneur pour ça. Car les premières choses qui sont absorbées dans ces forêts de béton, c'est la culture, et le lien social.

Alors à Fafet-Brosollette, on y entend désormais le haut-parleur d'un Muezzin fédérateur au coucher du soleil. C'est beau le chant, même si ça déroge légèrement au principe de stricte neutralité de l'espace public, et dans ce quartier pas le moindre tintement d'une cloche pour garantir la diversité. La laïcité à Amiens est reléguée au rang des antiquités. D'ailleurs, on s'en fiche. La République, chère à Jean-Pierre Chevènement, a déjà failli et dans les grandes largeurs : école, emploi, logement. Alors, pourquoi respecter religieusement les principes d'une société qui ne protège pas ses concitoyens, et qui ne leur donne pas les moyens d'acquérir un vrai épanouissement ? Quant à la présomption d'innocence là-bas, elle n'a plus cours.

Il est donc remarquable que dans ces points noirs sociaux de notre pays, les "jeunes" de ces quartiers hyper-défavorisés (au sens culturel du terme) de Servan aux Minguettes, de Montfermeil au Mirail en passant par La Viste, s'en prennent tous à leur environnement propre, et non pas à celui du bon bourgeois. Cela ferait plus de bruit mais les peines de prison seraient sûrement plus lourdes. Ces mouvements d'auto-destruction résonnent comme une velléité de suicide d'une génération d'oubliés qui arrive au bout d'un cycle. Il faut donc espérer que, de ce cycle, advienne quelque chose de tout différent, pour que jamais plus ces quartiers ne voient le jour, et qu'ils ne deviennent pas des sortes de Gaza en modèle réduit. 
Vous trouvez que j'exagère ? Passez-y seulement à pied, les flics vous regarderont de travers.
Quant à moi, je n'oublierai jamais d'où je viens : à chaque fois que je vois des images du Pigeonnier,  je me dis que j'ai bien de la chance d'avoir marché sur un autre chemin. Moi, c'est le théâtre qui m'en a sorti et donné la force d'aller voir ailleurs. Et si ces quartiers mettaient leurs souffrances en mots ? Dans le mot "maladie", il y a bien caché le "mal à dire". Pour l'instant, loin de l'imaginaire et des symboles, certains de nos enfants ont bien du mal à dire, et alors se mettent en scène, à leur propre détriment.


http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-regionale/Moto-un-vol-d-une-violence-extraordinaire/On-entre-dans-une-autre-problematique


http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-regionale/Toute-une-nuit-dans-un-quartier-en-etat-de-guerre

http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-regionale/Moto-un-vol-d-une-violence-extraordinaire

http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-regionale/Une-nuit-de-violences-urbaines

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